Sandrine Cabut, journaliste santé médecine au Monde, nous interroge sur l’évolution du travail journalistique à l’ère de l’IA.
Malgré la pression, quoiqu’il arrive il faut garder ses réflexes de journaliste
En tant que « vieille routarde », Sandrine Cabut considère que le rôle du journaliste est « rendre compte des innovations qui sont nombreuses dans les sujets santé-médecine, et les dérives qui sont nombreuses elles aussi ». Les fake news ne sont pas un phénomène nouveau, et la première chose apprise dans son métier de journaliste a été « qu’une information, ça se vérifie, c’est une règle de base. Même quand on se base sur la littérature scientifique, il convient de soumettre l’information à des experts du sujet en posant les questions suivantes : Est-ce que c’est réellement une nouveauté qu’on nous présente ? Est-ce que cette étude est suffisamment bien faite pour qu’on considère qu’il faut la relayer ? Quelles nuances doit-on apporter ? Une autre règle de base est d’amener de la valeur ajoutée à l’information reçue ».
Sandrine Cabut admet la chance qu’elle a « d’appartenir à une rédaction qui est très importante en termes d’effectifs, et qui a même grossi en fait ces dernières années, au sein de laquelle on a les moyens de travailler, qui nous permet d’appliquer cette règle générale ». La santé médecine est un sujet qui peut apparaître dans toutes les sections du média, avec différents formats au-delà du cahier sciences, avec toujours la volonté au sein de la rédaction de croiser les travaux. La quantité d’information qui leur parvient et qu’ils trient est de plus en plus importante, « c’est pour ça qu’il est important de se coordonner ».
« Est-ce que cette étude est suffisamment bien faite pour qu’on considère qu’il faut la relayer ? »
Une prudence de mise dans la gestion de l’information
L’un des grands changements depuis la crise du Covid, c’est la banalisation, la multiplication des préprints, c’est à dire d’articles mis à disposition sur des plateformes, alors qu’ils n’ont pas encore été revus par les pairs. « Nous sommes de plus en plus souvent amenés à rédiger des articles à partir de préprints, car leurs résultats sont diffusés rapidement sur les réseaux sociaux, y compris par des chercheurs » indique Sandrine Cabut. « En soumettant ces préprints à des experts, nous leur demandons en quelque sorte de faire le travail de reviewing, c’est à dire de valider leur contenu ».
La multiplication des formats, l’adoption des codes des réseaux sociaux, la mise en scène de l’information par les médias traditionnels peut jouer un rôle afin de ne pas laisser le champ libre à la désinformation, et toucher un public plus large. Mais il semble « illusoire de débunker l’ensemble des fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux. D’autant plus qu’il y a des boucles fermées, qui poussent les gens à s’alimenter par des sources d’informations qui restent dans la sphère dans laquelle ils sont », analyse Sandrine Cabut. Et de se poser la question si « lutter contre les fake news, c’est aussi parler d’autres sujets, faire des pas de côté, et donner des clés pour garder un esprit critique ».
Le mot qui compte de Sandrine Cabut
S’étonner. « Parce que je pense que s’étonner est une capacité typiquement humaine. Les IA travaillent avec les données dont on les a nourries, mais à mon sens n’ont pas ce pouvoir. »