Entretien avec le Pr Mathieu Molimard, pneumologue, pharmacologue et chef du service de pharmacologie au CHU de Bordeaux, est aussi responsable de la communication de la Société Française de Pharmacologie Thérapeutique. La SFPT est une société savante regroupant des chercheurs et des professionnels de la pharmacologie et de la thérapeutique qui s’implique dans la bonne information au sujet des médicaments.
Les pharmacologues français unis autour de la nécessité d’information au Grand Public durant la crise COVID
Les 48 premières heures de la crise sanitaire COVID ont été riches pour l’ensemble des pharmacologues français, et notamment pour Mathieu Molimard qui s’est vite retrouvé face à des patients envisageant d’arrêter leurs traitements par corticoïdes.
« Avec Jean-Luc Cracowski, et Vincent Richard, notre webmaster, nous nous sommes appelés le dimanche de l’annonce du confinement, et on a décidé qu’il fallait que l’on fasse quelque chose. On s’est dit que les gens agissent sans réfléchir, ils vont arrêter leurs corticoïdes, ils vont arrêter leurs immunosuppresseurs. On va avoir des gens qui vont faire n’importe quoi par la panique. »
Ce lundi matin de mars 2020, ce fût la première réunion de ce groupe de scientifiques, qui a résulté à la création d’un Google Form* permettant à tout un chacun de pouvoir poser toutes ses questions sur les médicaments, et de deux FAQ sur les premières grandes questions posées, telles que « Si je suis asthmatique, est-ce que je dois arrêter mon traitement ? ». Au final, plus de 170 questions ont été adressées via une analyse de la littérature complète et une description détaillée de l’état des connaissances.
La veille continue via la mise à jour des pharmacofacts** et des pharmacoflashs*** afin de créer un site de référence pour les journalistes qui est en phase avec l’actualité des thérapeutiques. La société savante est aussi organisée via son réseau national afin de pouvoir répondre aux sollicitations des médias pour plus explications.
Son comité éditorial identifie les informations à adresser dans l’actualité et fournit du contenu collégialement et scientifiquement validé, qui permet d’avoir un référentiel sur lequel les gens peuvent s’appuyer en cas de désinformation. « On essaie d’anticiper, c’est vraiment ça qui est important. C’est d’être au plus proche d’une montée, d’un événement qui va apparaître le plus en amont possible avant que cela ne flambe. Il y a toujours à craindre avec un médicament, mais d’autant plus s’il n’est pas utilisé dans sa bonne indication ».
« Il y a toujours à craindre avec un médicament, mais d’autant plus s’il n’est pas utilisé dans sa bonne indication. »
Tous ceux qui désinforment sur le médicament ont la solution miracle qui traite
D’après Mathieu Molimard, « les réseaux sociaux sont assez bons pour propager. On a vu lors de la crise Covid, les facteurs qui favorisent la propagation : une préoccupation particulière de la population, une crainte, de panique de la population. Ces situations sont une aubaine pour tous ceux qui sont des charlatans ou des gourous. »
La désinformation a d’autant plus d’impact quand elle est liée à une préoccupation majeure sur sa propre santé, les patients seraient plus enclins à s’ouvrir à des pratiques qui ne sont pas forcément rationnelles. Ainsi désinformer n’est pas la finalité, c’est un moyen pour acquérir une notoriété, un certain pouvoir, et surtout s’enrichir.
La désinformation, c’est comme un virus
Ce n’est pas un hasard si l’on utilise le vocable lié à la virologie quand on parle de viralisation et de vitesse de propagation d’une désinformation. Le Pr Mathieu Molimard explicite bien le phénomène : « la désinformation, c’est comme un virus. Durant la crise COVID, c’est comme si on avait été attaqué de manière militaire par un virus. Or quand il y a une attaque, les militaires l’ont très bien compris, c’est la hiérarchie, le fonctionnement et le respect des règles qui permettent de lutter efficacement. »
Le refus qu’on a pu observer à respecter les règles de la science par certains médecins, associé à un manque d’éducation et de connaissance du Grand Public sur le médicament et l’importance des essais randomisés, ont été le terreau de la désinformation. Mathieu Molimard appelle de ses vœux un grand retour d’expérience de cette période COVID afin de comprendre pourquoi les réglementations n’ont pas été respectées et d’identifier les éventuelles lacunes de notre système législatif. Un plan national sur la désinformation lui semble nécessaire pour une prise de conscience collective, mais aussi pour comprendre où est-ce que le système et les institutions ont failli pour éviter que cela ne se reproduise, pour ne plus laisser le champ libre aux désinformateurs.
L’éducation, c’est la clé
« Comme on prévient un virus par la vaccination, on prévient la désinformation par l’éducation ». Ainsi, « dépister, isoler, traiter une désinformation est essentielle ». La détection précoce est importante pour une réaction adaptée et fournir rapidement une réinformation correcte, validée, dans le cadre de la loi.
L’éducation c’est le rempart le plus efficace contre le mensonge. Mathieu Molimard explicite son propos via une métaphore bien connue : « la fake news prend l’ascenseur quand la vérité prend l’escalier. Mais pour moi l’éducation et une information correcte, c’est le petit enfant qui appuie à tous les étages de l’ascenseur et qui le ralentit, ainsi celui qui monte par l’escalier peut arriver le premier. »
Le service sanitaire des étudiants en santé pourrait être un levier pour Mathieu Molimard s’il incluait dans ses sujets celui des médications. Cela pourrait revêtir un double avantage : « Premier avantage, c’est d’aller porter le message dans les écoles assez précocement. Deuxième avantage, c’est que ces futurs professionnels de santé vont intégrer aussi ces messages, notamment qu’il y a toujours un risque avec un médicament et que le risque dépend de l’indication. Parce que lorsqu’on a enseigné quelque chose, c’est gravé à vie, beaucoup plus que quand on apprend. On ne mémorise bien que ce qu’on a enseigné. »
Le mot qui compte de Mathieu Molimard
Rigueur. « Nous sommes un domaine où nous avons une responsabilité majeure qui est la santé de la population. Donc, on ne peut pas se permettre de donner son avis sans étayer. La démarche scientifique est rigoureuse, honnête, transparente et éthique. »