« Coucou aux téléspectateurs et aux Fanzouaves qui sont de plus en plus nombreux à nous regarder et à nous liker sur les réseaux sociaux !! Et bienvenue au public et à nos chroniqueurs experts pour cette cinquième partie de FPMTC « Frotte Pas Mon Tube Cathodique », cinquième partie consacrée à la santé !
C’est une grande première pour moi et pour l’équipe, et je suis ému, non seulement parce que ça me permet de faire une douzième coupure publicitaire dans l’émission, mais aussi parce que ça faisait longtemps que je souhaitais faire une émission sur la santé. J’ai eu cette idée quand j’étais en classe de cinquième avec ma prof de SVT, Madame Bourton. Madame Bourton, que j’embrasse bien fort si elle n’est pas déjà morte !!! La darka !!! Et j’en profite aussi pour biser mon père qui est médecin à la retraite depuis peu. Cette émission, c’est aussi pour lui. Un hommage quoi !!!
Et voici mon plateau d’experts : le rappeur et culturiste Wynny, le politologue et journaliste sportif Gérard Footix, le malentendant d’Ibiza DJ Anaconda, l’influenceuse-effeuilleuse LaraBee et ses 1,5 millions de followers et enfin le célèbre Docteur – écrivain Irénée Fabre, aussi connu sous le blaze « le Schpountz » sur les réseaux sociaux.
Au sommaire de cette émission : Les vaccins donnent-ils la vache folle, pour ou contre ? Le nouveau régime vegan crudivoriste que le tout Hollywood acclame, bonne idée pour les fêtes de Noël à Megève ? Le Cancer de Kate Middleton, c’est la faute du Brexit ? ».
J’éteins la télévision et je désespère, à la fois du niveau télévisuel actuel, mais aussi et surtout du fléau des fake news dans notre société contemporaine.
Je conçois que la révolution numérique soit inévitablement accompagnée d’une hyperdiffusion de l’information et de son corollaire obscur : les fake news et les rumeurs, lesquelles se répandent comme des métastases. Mais comment s’en prémunir ? Et à y réfléchir, est-ce un phénomène si nouveau ?
En tant que juriste, il me paraît essentiel de connaître l’Histoire et de comprendre les ressorts de la désinformation médicale pour pouvoir envisager les outils juridiques et les stratégies de lutte.
De la bêtise ou de la malveillance ?
C’est la différence qui réside entre la mésinformation et la désinformation. Si toutes deux peuvent occasionner les mêmes dégâts, leurs mobiles sont pourtant très différents.
La mésinformation est la simple diffusion de fausses informations sans intention d’induire en erreur. Les personnes qui diffusent la mésinformation peuvent être de bonne foi et croire que ces informations sont vraies, utiles ou intéressantes. Si elles n’ont aucune intention malveillante, il faut toutefois s’en protéger.
Au contraire, la désinformation est une manipulation, conçue ou diffusée en toute connaissance de cause, dans l’intention de tromper et de nuire. Cette dernière doit être sanctionnée.
La désinformation médicale n’est pas une nouveauté
On pourrait croire que la désinformation médicale est née avec la COVID. Or ces racines remontent bien plus loin. Elle a en fait de tout temps accompagné les progrès de l’homme et la médecine.
On peut ainsi citer la peste bubonique du XIVème siècle. Atteignant l’Europe en 1346 par le bassin méditerranéen via des navires de marchandises en provenance de la mer Noire, elle tuera en seulement huit années jusqu’à 60% de la population d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
Attribuée à des causes surnaturelles telles que la colère de Dieu ou l’œuvre du diable, l’alignement des planètes, un mauvais air, un déséquilibre des « humeurs » du corps, on massacre aussi des juifs sur l’ensemble des territoires européens en les accusant d’un complot visant l’anéantissement des chrétiens en empoisonnant les puits d’eau potable. Et si en passant on se débarrasse d’un créancier encombrant…
Ce mythe se propage malgré la bulle papale de Clément VI déclarant la fausseté de cette accusation.
Au XVIème siècle, les européens sont confrontés à la Syphilis, appelée « mal français » en Italie, en Pologne et en Allemagne, « mal italien » en France, « mal espagnol » par les néerlandais, « mal polonais » par les russes, « mal chrétien » par les turcs… Nous sommes toujours le syphilitique de quelqu’un…
En 1832, pendant l’épidémie du choléra en France, les classes sociales s’accusent mutuellement, les bourgeois dénonçant une maladie du peuple qui les menace par contagion et les ouvriers accusant les autorités et le gouvernement de tentative d’empoisonnement visant à les éliminer. C’est seulement en 1849 que l’on admet qu’elle puisse toucher tout le monde, échappant à toute manipulation humaine.
La Pandémie de grippe de 1918-1919 est baptisée « grippe espagnole » pour la simple raison que l’Espagne, qui n’était pas en guerre, fut la première à la mentionner publiquement.
Dans les années 1980 et l’émergence du VIH, on a vite été confronté à la stigmatisation de communautés jugées moralement déviantes, comme les gays ou les consommateurs de drogue.
« A ce besoin d’un bouc émissaire va ainsi s’acoquiner la manipulation afin de cibler spécifiquement une population ou un objectif. »
Le terreau de la désinformation : il faut une explication ! Il faut un responsable ! Il faut un coupable !
Ces exemples de l’Histoire illustrent que le besoin d’explication cède rapidement la place au besoin d’attribuer une responsabilité. Il faut un responsable ! Il faut un coupable ! C’est terriblement humain…
Ainsi ce sont souvent les populations marginales, les pauvres, les populations jugées différentes, les juifs par exemple, ou les Chinois dans une actualité plus récente, qui vont être considérés comme les vecteurs de la maladie.
Puis à partir du XIXème siècle, on voit apparaître une remise en cause des gouvernants, des médecins et des professionnels de santé, incapables de donner une explication simple et rapide, voire même accusés d’avoir créé la maladie en manipulant des virus ou des bactéries.
A ce besoin d’un bouc émissaire va ainsi s’acoquiner la manipulation afin de cibler spécifiquement une population ou un objectif.
Les motivations des personnes créant de la désinformation
Les ressorts de cette manipulation sont divers et variés : économiques, géopolitiques, idéologiques ou religieuses. Ils sont complexes et évolutifs.
Chaque groupe va accuser l’autre d’être à l’origine de l’émergence d’une maladie ou d’entraver l’efficacité des interventions de santé publique, que ce soit l’adoption des vaccins ou les politiques de confinement de la population.
La désinformation engendre la confusion sur les faits et leurs sources, clive politiquement et géographiquement en érigeant la supériorité du groupe par rapport à l’autre en fonction de sa réaction à une crise de santé publique, érode la confiance dans les institutions civiles et scientifiques ou dans les gouvernants…
Il existe aussi une connotation financière, afin de créer un public sur les réseaux sociaux : créer le buzz pour être regardé, acquérir une notoriété par le nombre de vues, être invité par les médias mainstream qui sont concurrencés par les réseaux sociaux et qui leur emboitent le pas : « bonjour monsieur X, vous avez 500.000 followers », être légitimé par le label « vu à la télévision », rendre captif ce public et devenir prescripteur, enfin monnayer ce public contre des espèces sonnantes et trébuchantes (livres, vidéos, publicités…).
La pertinence d’un rempart réglementaire ?
Garant du respect des libertés individuelles (les libertés d’opinion et d’expression, le droit au respect de la vie privée…), le législateur est contraint à une posture d’équilibriste. Il n’est toutefois pas resté inactif et il existe un panel de textes divers en fonction des domaines, le droit national et le droit européen optant pour deux visions différentes et complémentaires. On peut citer parmi cet arsenal juridique :
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui sanctionne, outre les discours de haine, les fausses informations susceptibles ou étant susceptibles de troubler la paix publique : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros » (article 27), ainsi que la diffamation et les injures commises envers les particuliers (articles 29 et suivants). A noter que les réseaux sociaux ne sont pas considérés comme des éditeurs…
La loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique et son mécanisme de notification pour contenus illicites.
La loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information :
qui oblige les hébergeurs dépassant un certain seuil d’utilisateurs à mettre en place un mécanisme clair et simple de notifications des fausses informations visibles sur les plateformes durant les périodes électorales,
qui met à la charge des opérateurs de plateforme une obligation de transparence en ce qui concerne le financement éventuel en contrepartie de la promotion de contenus se rattachant à un débat dit d’intérêt général,
et qui prône la mise en place d’outils sa rapportant à l’éducation aux médias et aux informations.
La loi n° 2024-420 du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes, qui aggrave les sanctions pour exercice illégal d’une profession médicale (article 11) et qui crée dans son article 12 un délit de provocation à l’abandon ou l’abstention de soins, quand les manœuvres sont réitérées et que la provocation a été suivie d’effets (article 223-1-2 du Code pénal).
Le droit national protège et sanctionne à la fois ces libertés individuelles en fonction de divers critères tels que le degré d’inquiétude, le degré de doute suscité chez les récepteurs de l’information, et le nombre de sujets atteints par cette information. Cette contradiction génère naturellement ses propres limites.
Au niveau européen, la majorité des mesures adoptées sont non contraignantes, misant sur l’autorégulation des principaux acteurs d’internet. On parle en l’espèce d’un soft law complémentaire.
Ainsi de l’élaboration d’un code de bonnes pratiques sur la désinformation, publié la première fois en octobre 2018 : « il appartient aux signataires de décider quels engagements ils souscrivent et il est de leur responsabilité d’assurer l’efficacité de la mise en œuvre de leurs engagements ».
Mais cette autorégulation connait elle aussi ses limites : la logique de profit s’appuyant sur la publicité passe avant la modération des contenus.
« Mais cette autorégulation connaît elle aussi ses limites : la logique de profit s’appuyant sur la publicité passe avant la modération des contenus. »
De la nécessité d’une stratégie de lutte sur le terrain numérique
De facto la réglementation sera toujours en retard par rapport aux avancées et aux progrès du numérique. Une stratégie frontale est par conséquent court-termiste si ce n’est inefficace. Elle ne permettra au mieux que de sanctionner.
Mais le mal sera déjà fait, la sanction étant assimilée par le sophisme de la désinformation comme une victoire : « je vous affirme que l’ordre établi vous ment ; je vous éclaire de la vérité qu’on tente de vous cacher ; l’ordre établi me sanctionne pour me faire taire, cela prouve donc que je vous dis la vérité… »
Lutter au moyen de la seule réglementation est donc illusoire.
La lutte contre la désinformation s’apparente à une guerre. Et comme l’a analysé Clausewitz, la guerre ne consiste pas en un seul coup sans durée. Au contraire, elle se déroule dans le temps et l’espace et s’articule autour de trois principes : un principe politique, un principe militaire et un principe populaire.
Et c’est peut-être de l’appréhension de ce dernier principe, que peut surgir un début de solution. En effet « la guerre populaire, comme quelque chose de vaporeux et de fluide, ne doit se concentrer nulle part en un corps solide ; sinon l’ennemi envoie une force adéquate contre ce noyau et le brise » (Carl von Clausewitz, De la guerre).
La riposte de l’information est peut-être simple : utiliser les mêmes armes que l’ennemi. Ce qui est d’autant plus pertinent dans nos nouvelles démocraties du public (certains diraient démocraties d’opinion) qui ont succédé aux démocraties représentatives.
Ainsi de l’utilisation par des médecins canadiens des mêmes tactiques et outils de la désinformation permettant de rendre attractifs les données vérifiées et vérifiables : vidéo au titre accrocheur et avec des éléments visuels pop faciles à suivre, utilisation de documents infographiques, et le tout sur les réseaux sociaux à la mode. Comme le résume Timothy Caulfield, professeur en droit et sciences politiques de la santé à l’université de l’Alberta, « il faut penser à quoi ressemblera son contenu. Souvent les communautés clinique et scientifique ne le font pas, contrairement aux personnes qui font la promotion de la désinformation ».
Il faut en outre généraliser l’éducation aux médias dans les programmes scolaires.
Une protection personnelle
En effet, nous pourrons utiliser tous les moyens et outils possibles et imaginables pour tenter de prémunir les gens de la désinformation, en fin de compte nous ne pourrons jamais nous substituer à eux. Et c’est d’ailleurs dangereux de vouloir le faire.
Seul cultiver son esprit critique peut permettre à la personne de se protéger de la désinformation et de casser sa chaîne de réplication.
Cela demande de prendre son temps avant de diffuser une information. Le temps de la réflexion, en considérant les preuves, le contexte, les méthodes. Un rapport au temps qui est inconnu des réseaux sociaux. Un temps que l’on doit se réapproprier.