Soigner la confiance : les artisans de la désinformation en santé, nouveaux faiseurs de valeur

par | 9 octobre 2025 | Comprendre

Soigner la confiance : les artisans de la désinformation en santé, nouveaux faiseurs de valeur

À l’heure où les réseaux sociaux façonnent l’opinion publique, Adel Mebarki analyse comment la viralité émotionnelle et la désinformation ébranlent l’autorité médicale et redéfinissent la confiance dans la science et la valeur du soin.

Une autorité médicale concurrencée par la viralité émotionnelle

Le paysage informationnel en santé a basculé. La parole médicale, autrefois pilier incontesté de l’espace public, voit aujourd’hui son autorité relativisée, voire supplantée. Ce ne sont plus les publications scientifiques ni les consensus d’experts qui captent l’attention collective, mais les récits de figures extérieures au soin : entrepreneurs du bien-être, influenceurs « pro-science alternative », personnalités idéologiques. Ces nouveaux protagonistes façonnent l’opinion, en s’emparant de codes narratifs efficaces, émotionnels, séduisants.

Sur les réseaux sociaux, la donnée clinique se dilue dans l’anecdote personnelle. Le « je » prend le pas sur la preuve scientifique, la conviction subjective devient un levier de viralité. L’attention ne se gagne plus par la rigueur mais par la résonance affective.[1] Dans cette économie du signal, la valeur du savoir médical est redéfinie : ce n’est plus la démonstration qui fonde l’autorité, mais l’engagement qu’elle suscite.

La désinformation : levier invisible de la valeur perçue

À l’heure où notre système de santé est mis à l’épreuve et en tension, la notion de valeur ne se limite plus aux résultats cliniques objectivables. Elle s’élargit à l’expérience vécue, à la confiance ressentie, à la perception partagée. Or cette confiance, essentielle pour garantir l’adhésion aux recommandations médicales, ne se décrète pas : elle se gagne ou se perd dans les arènes numériques.

Dans ce contexte, la désinformation ne relève pas de l’anomalie, mais d’un mécanisme structurel. Lorsqu’un contenu viral affirme qu’un traitement « naturel » serait plus efficace qu’un protocole validé, il ne diffuse pas seulement une contre-vérité : il déplace les repères cognitifs du public. Il redéfinit la valeur symbolique du soin, relègue la médecine fondée sur les preuves au second plan, et installe la croyance comme variable d’action. Si la Value-Based Healthcare (VBHC) postule que la valeur d’un soin repose sur les résultats pour le patient, alors il faut admettre que ce que croit le patient détermine ce qu’il fait et donc ce qu’il obtient.

Les architectes de la défiance : influenceurs et entrepreneurs de vérité

Les artisans de la désinformation ne sont pas des amateurs. Ce sont des stratèges de l’opinion. Leur efficacité repose sur trois ressorts : la proximité émotionnelle, la répétition narrative et la cohérence perçue. Là où le discours médical avance avec prudence, eux construisent des récits simples, binaires, incarnés. Là où la science reste prudente à conclure, eux assènent des vérités. Leur audience ne cherche pas à être informée, mais à être rassurée, galvanisée, validée dans ses intuitions.

Certains travaux récents le confirment : les messages de santé les plus partagés sont ceux qui activent des émotions fortes (peur, colère, révolte). Ce n’est pas la véracité qui gouverne les flux d’information, mais leur pouvoir de résonance. La désinformation ne combat pas frontalement la médecine, elle l’évince du champ narratif. Elle devient une force de compétition sur le terrain de la valeur perçue. [2]

Vers une « Value-Based Information » ?

Il est temps d’élargir le périmètre de la Value-Based Healthcare. Si la qualité d’un soin dépend aussi de l’information qui l’entoure, alors il devient impératif de concevoir une « Value-Based Information ». Un modèle qui reconnaisse la traçabilité, la fiabilité et l’éthique de l’information comme des déterminants majeurs de performance en santé.

Renforcer la littératie informationnelle des citoyens, comme le recommande l’OMS, n’est plus une option pédagogique : c’est une priorité stratégique. À l’ère de l’hyperactivité informationnelle, soigner l’information, c’est soigner les conditions d’adhésion au soin. Le système de santé ne peut prétendre à la qualité s’il ne rétablit pas un lien de crédibilité entre données, discours et décisions.

Intégrer l’analyse d’influence dans les politiques de santé publique

Répondre à cette « infodémie » exige une inflexion méthodologique. L’analyse de la santé publique ne peut plus se limiter aux indicateurs épidémiologiques classiques. Il faut y intégrer la cartographie des récits, l’identification des « super-diffuseurs » d’infox, l’évaluation de la confiance dans les sources, et la mesure de l’exposition informationnelle.

Une politique de santé efficace ne peut ignorer les dynamiques narratives qui façonnent les comportements. Cartographier les croyances, c’est anticiper les résistances. Mesurer l’influence, c’est prévenir les fractures. L’adhésion aux politiques vaccinales, l’acceptation des traitements, la cohésion du pacte sanitaire national en dépendent.

Restaurer la souveraineté cognitive du patient

Dans un monde où l’information est aussi décisive que l’ordonnance, soigner la confiance devient un acte thérapeutique à part entière. Il ne s’agit pas de moraliser, ni de censurer, mais de reconstruire la souveraineté cognitive des patients. La lutte contre la désinformation ne relève pas d’une police de la vérité, mais d’un projet collectif : rétablir un espace où la science reste audible, où le doute méthodique redevient une force, et où la valeur se fonde sur ce qui soigne vraiment.

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