Faire de la santé le fer de lance de l’adoption de l’intelligence artificielle en France

par | 5 novembre 2024 | Comprendre

Face à une faible adhésion citoyenne, Antoine Kalawski, expert Communication et Marketing Digital Santé, nous explique pourquoi la santé émerge comme un candidat naturel pour favoriser l'adoption de l'intelligence artificielle en France.

L’intelligence artificielle (IA). Depuis quelques années, ce terme s’est imposé dans notre vocabulaire, cristallisant les espoirs de transformations économiques et sociales. Elle est perçue comme l’une des grandes révolutions à venir, là où se concentrent désormais les investissements majeurs des entreprises.

Pourtant, près de deux ans après l’explosion médiatique des modèles de langage génératif, avec le déploiement de GPT-3 en décembre 2023, l’IA peine encore à imprimer sa marque profonde sur nos structures, que ce soit au sein des organisations ou simplement dans notre vie quotidienne.

Certes, quelques entreprises pionnières ont tenté d’adapter leurs pratiques à ce nouveau paradigme, mais ces exemples demeurent rares. Si plus d’un Français sur deux a déjà expérimenté ChatGPT, seuls à peine 10 % en font un usage régulier. Et cet usage reste souvent limité à des gains de temps marginaux, bien loin des promesses d’une transformation en profondeur de nos modes de travail ou de nos relations avec la technologie.

Pis encore, l’opinion publique reste circonspecte. Selon une enquête Ipsos de 2023, 63 % des Français estiment que l’IA constitue une menace pour l’emploi, et près de la moitié (47 %) ne souhaitent pas la voir occuper davantage d’espace dans leur quotidien. Alors que les discours sur les bénéfices potentiels de cette technologie se multiplient – gains de productivité, amélioration du confort de vie, avancées créatives –, susciter une véritable adhésion citoyenne apparaît comme l’un des enjeux majeurs pour que la société française puisse tirer parti de cette révolution technologique.

Mais pour relever ce défi, l’IA doit trouver son champion : un secteur capable d’incarner ses promesses, suffisamment emblématique pour entraîner d’autres domaines dans son sillage, et dont les avancées seraient accueillies favorablement par la population. À ce titre, la santé émerge comme un candidat naturel.

L’IA appliquée au domaine de la santé offre des exemples concrets, immédiatement compréhensibles par le grand public.

L’IA en médecine : une transformation déjà engagée

L’IA appliquée au domaine de la santé offre des exemples concrets, immédiatement compréhensibles par le grand public. Chacun peut aisément se projeter dans les bénéfices individuels et collectifs que pourraient apporter ces innovations. Prenons l’exemple du criblage moléculaire, permis par le « big data », qui accélère la mise au point de nouveaux traitements. À tel point que Sanofi, après avoir notamment investi 180 millions de dollars en 2021 dans la start-up Owkin, spécialisée dans l’IA pour la recherche biomédicale, espère réduire de 30 à 50 % le temps de développement des médicaments, avec des retombées concrètes sur la qualité de vie et d’accès aux soins des patients.

L’explosion des données personnelles, couplée à l’essor du « self-monitoring », et les promesses portées par le développement des jumeaux numériques, ouvrent par ailleurs la voie à une médecine prédictive et personnalisée. Détecter plus tôt les maladies, améliorer la prise en charge, proposer des traitements individualisés… Les perspectives sont immenses, non seulement en termes de santé, mais aussi de prévention, avec la promotion d’hygiènes de vie plus saines.

Quant à l’utilisation des modèles de langage, comme les IA génératives, elle se traduit déjà par des gains de productivité dans les établissements de soins. L’initiative Dalvia de Docaposte, lancée en septembre 2024, vise en ce sens à alléger la charge administrative des soignants en leur fournissant un assistant numérique capable de les soulager des tâches bureaucratiques et d’accéder facilement aux informations médicales, leur permettant de se consacrer davantage aux patients.

Une réponse aux défis d’un système de santé en crise

Le système de santé français se trouve confronté à des défis structurels majeurs : vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, chute annoncée du nombre de médecins. Dans ce contexte, l’amélioration de l’efficacité et de la productivité des soins apparaît comme une nécessité impérieuse. Les solutions apportées par l’IA se présentent comme une réponse prometteuse à cette équation complexe.

Cependant, cette révolution ne pourra se déployer sans un climat de confiance entre les acteurs du secteur et les citoyens. Or, la transformation numérique en santé repose sur deux piliers essentiels : la confiance et l’usage. Sans confiance, l’accès aux données des patients, indispensable à l’innovation, est compromis. Sans usage, même les innovations les plus brillantes restent lettre morte. Pour y parvenir, il est crucial d’impliquer les patients dès la conception de ces outils. Il ne s’agit pas simplement de répondre à leurs besoins, mais de prendre en compte leurs aspirations, leurs craintes, et surtout de montrer en quoi ces innovations peuvent s’intégrer de manière fluide dans leur quotidien. Pour cela, l’utilisation de l’IA pour agréger et synthétiser les verbatims patients et les données « real life » s’avère une aide précieuse.

S’appuyer sur des figures légitimes pour inspirer confiance

Pour restaurer la confiance nécessaire à cette transition, le choix des porte-parole est fondamental. Si l’IA suscite encore tant de défiance, c’est aussi parce que ses principaux défenseurs – grandes entreprises technologiques et responsables politiques – sont souvent perçus comme ayant des intérêts biaisés, et intéressés. Pour inverser cette tendance, il est crucial de donner la parole à des figures jugées plus crédibles et désintéressées : les scientifiques et les médecins.

Un baromètre Ifop de 2023 révèle que seuls 22 % des Français font confiance aux politiques pour encadrer le développement de l’IA, tandis que 80 % accordent leur confiance aux professionnels de santé pour orienter l’innovation médicale. Il est donc évident que la légitimité des médecins peut jouer un rôle clé dans l’acceptation de l’IA au sein de la société, et que les industriels de ce secteur ont tout intérêt à développer des programmes visant à faire émerger ces porte-paroles.

La santé, moteur de l’adoption de l’IA en France

Outre ces qualités intrinsèques, la France dispose d’un écosystème de e-santé parmi les plus dynamiques au monde. Des groupes pharmaceutiques comme Sanofi, Servier ou Ipsen aux jeunes licornes de la tech santé telles que Doctolib et Alan, en passant par des incubateurs de start-up et des grands projets publics tels que le Health Data Hub : notre pays dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un leader mondial de l’IA dans la santé.

Et si l’IA s’épanouit d’abord dans le secteur médical, les applications s’étendront bien au-delà. Industrie, culture, agroalimentaire… chaque secteur pourra s’inspirer des avancées faites en e-santé pour intégrer ces technologies et en tirer des bénéfices concrets. Le succès de l’IA en santé pourrait ainsi constituer un modèle pour son adoption à plus large échelle, montrant que cette technologie, loin de n’être qu’un gadget, peut véritablement transformer nos sociétés, et acculturerait la population au potentiel de l’IA, faisant ainsi diminuer son degré de réticence.

La France a donc tout à gagner à faire de la santé le fer de lance de sa politique IA, et pourrait faire d’une pierre trois coups : faire souffler son système de santé en tension, favoriser l’essor de champions internationaux et accélérer l’adoption d’un outil rendant sa population plus créative et productive.

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