Vers un système de santé centré sur la valeur : analyse d’une évolution en cours

par | 25 septembre 2025 | Explorer

Vers un système de santé centré sur la valeur : analyse d’une évolution en cours

Tania Aydenian – Directrice du département Value Based Partnership chez Takeda

La transformation du système de santé autour du concept de «Value-Based Healthcare» (soins fondés sur la valeur) constitue aujourd’hui un axe stratégique pour de nombreux acteurs publics et privés. Cette approche vise à recentrer les efforts non plus sur le volume d’actes médicaux réalisés, mais sur les résultats concrets obtenus pour les patients.

L’analyse d’une démarche menée chez Takeda, à travers le témoignage de Tania Aydenian, Directrice du département Value Based Partnership, permet d’éclairer les contours, les promesses et les limites de cette mutation.

Du curatif au centré-patient : un repositionnement progressif

La définition proposée du Value-Based Healthcare dépasse le simple registre sémantique. Pour Tania Aydenian, « elle traduit un repositionnement fondamental du rôle de chaque acteur dans la chaîne de valeur du soin. Il ne s’agit plus seulement de soigner, mais de démontrer que l’intervention médicale ou la solution proposée produit un effet mesurable, pertinent et durable pour le patient. Cette logique implique de mobiliser de nouveaux indicateurs – PROMS et PREMS – qui restent encore marginalement intégrés aux systèmes d’évaluation traditionnels ».

Le passage d’une médecine curative à une approche davantage orientée vers la qualité de vie, l’autonomie et la prévention constitue une rupture culturelle. Le témoignage de Tania Aydenian souligne également l’exigence de démonstration : « l’efficacité clinique, bien qu’indispensable, ne suffit plus à démontrer la valeur globale d’une intervention. Il devient essentiel d’évaluer les bénéfices réels pour les patients, en tenant compte des ressources mobilisées et de l’impact sur leur qualité de vie ».

« L’enjeu est d’intégrer des dimensions psychosociales afin d’aider les patients à retrouver une forme d’autonomie. »

Des logiques de co-construction et de partenariat

Tania Aydenian souligne que « l’un des leviers identifiés pour faire advenir ce changement est celui du partenariat ». Cela implique une coordination renforcée entre industriels, patients, professionnels de santé, institutions et financeurs. La structuration d’un département spécifique autour de la « valeur » chez Takeda illustre une volonté d’intégration de ces logiques. Quatre axes sont évoqués : « l’identification des points de friction par la voix du patient, le développement de solutions coconstruites, la reconnaissance des indicateurs par les décideurs publics, et l’alignement des acteurs via une communication adaptée ».

Sur le terrain, plusieurs exemples permettent d’illustrer cette démarche. Dans la narcolepsie, des dispositifs sont conçus pour dépasser le seul objectif de contrôle des symptômes et intégrer une dimension psychologique et fonctionnelle. « L’enjeu est d’intégrer des dimensions psychosociales afin d’aider les patients à retrouver une forme d’autonomie », précise Tania Aydenian. Dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, la logique s’étend à la prévention des poussées, la personnalisation des soins, et le recours à des outils numériques de suivi. Ces programmes combinent souvent des aspects de nutrition, d’activité physique et de soutien psychologique. 

La place du numérique : levier ou mirage ?

Le numérique est souvent présenté comme un vecteur de transformation. Tania Aydenian nuance le propos : « il s’agit moins de développer des technologies nouvelles que de les intégrer de manière cohérente aux parcours de soin. Le numérique n’est pas traité comme une finalité, mais comme un moyen pour fluidifier les parcours et amplifier les résultats ». Une distinction importante à l’heure où de nombreuses startups en santé numérique peinent à pérenniser leurs modèles, faute d’articulation suffisante avec les structures traditionnelles de soins.

Prévention, fragmentation et nouveaux métiers

Le passage à une logique fondée sur la valeur oblige également à reconsidérer les frontières entre soin, prévention et accompagnement. Des fonctions émergentes ou peu valorisées jusqu’alors – coordination de parcours, design d’expérience, analyse de données centrée sur la qualité de vie – gagnent en visibilité. Cette évolution s’inscrit « dans un contexte marqué par la fragmentation croissante des parcours, notamment dans les maladies chroniques et rares », détaille Tania Aydenian.

Un verrou : le modèle économique

L’un des grands défis reste la mise en place d’un modèle économique pérenne pour soutenir ces transformations. Cela suppose un alignement entre acteurs publics et privés, régulateurs, payeurs et fournisseurs de solutions. Pour Tania Aydenian, il s’agit de « dépasser les effets d’annonce pour bâtir des démarches structurantes, capables de démontrer leur valeur de façon tangible. Cette évolution du système de santé est encore en cours de structuration, mais elle semble incontournable face aux enjeux actuels ».

Ainsi le Value-Based Healthcare ne se limite pas à un changement de vocabulaire : « il redéfinit les priorités, les responsabilités et les modes de financement dans une logique plus cohérente avec les attentes des patients et les contraintes du système ».

La question du financement des solutions non médicamenteuses, ou complémentaires aux traitements, reste largement ouverte. « Le risque est de voir ces initiatives cantonnées à des projets expérimentaux, sans réel changement systémique », signale Tania Aydenian.

La création de valeur ne pourra être reconnue que si des mécanismes de financement, de remboursement ou d’incitation sont définis. Cela suppose un alignement des intérêts entre acteurs publics et privés, mais aussi une évolution réglementaire permettant d’intégrer de nouveaux types de preuves et de résultats dans l’évaluation des interventions.

Les plus lus.

En kiosque.

Futurologie #4

Futurologie #4

Value Based HealthCare Le Value Based Healthcare, ou santé fondée sur la valeur, n’est pas un slogan. C’est une exigence. L’exigence de remettre les patients au centre, d’écouter ce qui compte vraiment : la fatigue qui épuise, la qualité de vie qui vacille, la liberté...

Dans la même catégorie.