Les Maux Bleus, un espace de liberté et de compréhension

par | 25 juin 2024 | Explorer

Les Maux Bleus, un espace de liberté et de compréhension

Mickael Worms-Ehrminger – Enseignant chercheur en santé publique et science cognitive & créateur du podcast Les Maux Bleus, dire les troubles de santé mentale © Marabout - Élodie Daguin

Enseignant chercheur en santé publique et science cognitive, créateur du podcast Les Maux Bleus, dire les troubles de santé mentale, créé en 2021, gagnant du grand prix du podcast santé francophone 2023.

Au-delà de la littérature scientifique, la puissance de la vie réelle

La mission du podcast Les Maux Bleus est d’être « un outil d’accompagnement pour des personnes qui sont, soit elles-mêmes en souffrance psychique, soit pour leur entourage, soit pour les professionnels de santé, pour apporter des éléments qualitatifs en complément de la partie quantitative à laquelle ils ont déjà accès », nous explique Mickael Worms-Ehrminger. Les pathologies psychiques sont vécues de manière très différente selon les individus, dans des environnements différents et avec des capacités à gérer les situations de manières différentes.

Mickael Worms-Ehrminger considère que « les éléments qualitatifs de vie réelle éclairent à la fois les patients et les professionnels de santé, qui ont ainsi accès à des informations qu’on ne dit pas forcément à son professionnel de santé. Typiquement il y a des sujets comme la sexualité, dont on ne parle pas forcément avec son psychiatre ou son psychologue, alors qu’avec une personne un peu lambda, hors cadre de consultation, il y a peut-être un peu plus de facilité, ou en tout cas moins de difficulté à en parler. De plus, cela peut avoir des effets positifs pour la personne en souffrance d’appartenir à une communauté de personnes qui vivent la même chose, de se dire « je ne suis pas seule », de sortir de cette solitude et d’entendre aussi que c’est possible de vivre avec et de s’en sortir ».

« Le podcast Les Maux Bleus permet aux professionnels de santé d’avoir accès à l’humanité qu’il y a derrière les pathologies »

Plus qu’un podcast, un « outil » utile du parcours de soins

Une étude est en cours afin d’évaluer les effets de l’écoute du podcast sur les pratiques professionnelles. Les résultats intermédiaires montrent pour le moment des effets positifs chez une grande majorité des médecins inclus, avec une intention ou une modification effective de leur pratique et une meilleure compréhension de leurs patients. Ils rapportent aussi une augmentation de leurs connaissances.

Le podcast Les Maux Bleus permet aux professionnels de santé d’avoir accès « à l’humanité qu’il y a derrière les pathologies ».

Côté patient, Mickael Worms-Ehrminger indique que « le podcast est aussi utilisé à des fins de psychoéducation. Il permet d’apporter des connaissances aux patients sur le fonctionnement de sa maladie avec aussi tous les côtés émotionnels et affectifs. Les patients peuvent aussi s’appuyer sur le podcast pour en parler avec leurs proches, parce qu’assez souvent il y a ce problème de l’indicible de la souffrance psychique, de ne pas savoir comment en parler. Et d’entendre justement les mots de quelqu’un d’autre qui en parle avec un peu plus de recul, ça permet de trouver des mots, des expressions, pour en parler. Et puis même si c’est impossible vraiment pour la personne d’en parler, même après avoir écouté, de relayer l’épisode auprès de leurs proches en disant « je vis exactement la même chose », ça t’aidera peut-être à comprendre ».

La mésinformation tout aussi dangereuse que la désinformation en matière de santé mentale

Mickael Worms-Ehrminger définit « la désinformation peut être à la fois volontaire, dans une volonté de diffuser une vérité alternative, par des personnes qui finissent par croire à leur réalité alternative. Il y a aussi le gros problème de la mésinformation, c’est-à-dire de faire circuler des informations qui sont tronquées, qui forcément ont un contenu qui est partiel et forcément partial, parce qu’on choisit ce qu’on va diffuser » qui crée la mécompréhension et l’incompréhension de ce qui est relayé.

La désinformation en santé mentale a en ligne de mire les thérapeutiques. Mickael Worms-Ehrminger nous explique que « quand on parle de santé mentale, on ne pense pas à une défaillance d’organe, mais on considère que cela concerne l’humanité même de la personne. Donc le fait de prendre une molécule pour régler une maladie mentale, ce serait modifier totalement la personne en elle-même. Cela génère ainsi une forme de rejet des médicaments psychotropes qui pourtant sauvent des vies. Il y a aussi des théories alternatives, voire complotistes, qui posent la maladie mentale comme une construction capitaliste, avec les psychiatres et psychologues des agents du capitalisme pour polisser les comportements, pour que les gens restent productifs ». Cette désinformation a pour objectif de dissuader les personnes d’avoir recours aux soins psychiatriques, et donc de mettre en jeu leur vie, parce que ce sont « des pathologies potentiellement mortelles si elles ne sont pas prises en charge ».

Le principal réflexe, d’un chercheur éthique et intègre, « c’est de ne jamais prendre pour comptant quelque chose qui est trop simple ». Il est utile d’être très précautionneux avec les données qui ne sont pas encore publiées ou revues par les pairs. Mickael Worms-Ehrminger encourage à la prudence « quand c’est trop simple, quand c’est trop tranché, en général, on sait que ce n’est pas possible, il n’y a rien qui est aussi blanc ou aussi noir, il y a toujours des résultats nuancés. Quand les conclusions sont beaucoup plus nuancées, c’est moins sexy, ça ne fait pas cliquer ».

« Un exemple parlant de mésinformation, une méta-analyse sur les effets de l’activité physique sur les symptômes dépressifs indiquait que l’activité physique était plus efficace que les antidépresseurs dans la dépression. Cette méta-analyse a été énormément relayée sans une analyse plus poussée. Lors d’un congrès, je participais à une table ronde sur la désinformation, où j’expliquais que cette méta-analyse était mal construite avec des problèmes de rentrée de données et apportait donc une conclusion erronée. Une vingtaine de minutes, lors d’une autre intervention, un médecin reprenait en exemple cette méta-analyse en disant « les antidépresseurs, finalement, peut-être qu’on n’en a pas besoin, il suffit de faire 30 minutes de sport, et ça ira mieux ».  J’ai trouvé ça assez impressionnant, ce concours de circonstances. Le problème, c’est que même les professionnels ne sont pas forcément bien formés à la lecture critique des articles. Les conséquences peuvent être grave, parce qu’une dépression, si elle n’est pas prise en charge, et qu’elle s’aggrave, ça peut mener au suicide. »

Tout le monde n’est pas habilité à parler de santé

L’article L4161-1 du Code de la santé publique prévoit que l’exercice illégal de la médecine peut être commis par une personne qui pose un diagnostic ou traite une maladie, habituellement ou par direction suivie, sans avoir le diplôme requis pour être médecin. Beaucoup de praticiens, sous prétexte « qu’on a tous une santé », ou qu’ils ont eu une expérience personnelle de la santé mentale, se disent coach ou psychopraticien. Mickael Worms-Ehrminger explicite ce propos par leur capacité à user « d’effets sémantiques, pour rapprocher leur statut de celui de professions réglementées. Ainsi, les psychologues ne sont pas reconnus comme des professionnels de santé dans le code de la santé publique, ce sont des professionnels de santé mentale, et donc de fait non inclus dans la liste des professions réglementées. Ils peuvent intervenir dans le champ de la santé s’ils justifient d’un master 2 800 heures de stage, de porter un mémoire… Mais l’exercice de la psychothérapie n’est pas réglementé. Le titre de psychothérapeute est réglementé, il est réservé aux psychiatres qui l’ont de droit et aux psychologues quand ils ont une formation en psychothérapie. N’importe qui d’autre qui se dit psychothérapeute tombe sous le coup de la loi. En revanche, n’importe qui peut proposer des psychothérapies sans se dire psychothérapeute. On peut se dire thérapeute en psychothérapie. Ce flou juridique peut s’avérer dangereux ».

Le mot qui compte de Mickael Worms-Ehrminger

Objectif. « Mon mantra, c’est une citation de Sénèque. « Il n’est de vent favorable qu’à celui qui sait où il va ». Très souvent dans le domaine de la santé, il y a beaucoup de sensibilisation, d’information, de volonté de partager, mais il convient de se poser la question de pourquoi on le fait. C’est la question de l’objectif. On ne se pose pas suffisamment la question de l’objectif qu’on vise, et qui va déterminer la méthode employée. Il va déterminer les mots que l’on va utiliser. On est dans l’urgence de faire. L’urgence n’est jamais très bonne conseillère. »

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