Entretien avec Donatien Le Vaillant, Chef de la Miviludes, mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires*
Une mission de recueil de données et de faits pour alerter et prévenir
La Miviludes, créée en 2002, a pour objet de « recueillir des signalements ou des demandes d’informations des particuliers, des administrations, d’associations ou toute autre structure, concernant des possibles dérives sectaires dans quelques domaines que ce soit, et par exemple dans le domaine de la santé », nous explicite Donatien Le Vaillant, chef de cette mission interministérielle. Les signalements dans le champ de la santé représentent une part non négligeable d’à peu près un quart de l’ensemble des signalements reçus sur une année.
A partir de ces signalements, l’équipe de 15 personnes constituant la Miviludes répond aux signalements et aux demandes d’informations qui lui sont adressées. « Nous ne sommes pas un service d’enquête. Mais lorsque nous recevons des signalements, nous les analysons et pouvons demander des éléments complémentaires aux personnes qui nous adressent des signalements. S’ils ont des proches aussi qui veulent témoigner, nous pouvons les inviter éventuellement à le faire, ou nous pouvons leur conseiller lorsqu’il y a lieu de le faire porter plainte. Nous assurons aussi une veille de l’information des médias via un service de documentation », explique Donatien Le Vaillant.
Lorsque des faits sont susceptibles de constituer des infractions pénales, les éléments sont transmis au procureur de la République.
L’autre mission de la Miviludes c’est d’informer le grand public sur les phénomènes sectaires afin d’assurer une politique de prévention. De manière générale, « le décret de notre création prévoit également que nous coordonnions l’action préventive et répressive dans le domaine des dérives sectaires », précise Donatien Le Vaillant.
Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui est plus souvent déclaré
Depuis 2015, on observe une hausse significative du nombre de signalements avec plus de 4000 en 2021 contre un peu plus de 2000 en 2015. Cette montée de la prise de conscience amène à une loi sur le sujet. En novembre 2023, une stratégie nationale de la lutte contre les dérives sectaires a été annoncée par la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache, chargée de la Citoyenneté de la Ville, pour les années 2024 à 2027. Ce plan fait suite à la réunion des Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires des 9 et 10 mars 2023, réunissant près de 200 professionnels du sujet. Le premier axe de cette stratégie comprend la prévention et des actions ciblées sur l’écosystème numérique, les réseaux sociaux en premier lieu, afin de prévenir les dérives sectaires et leur développement possible sur ces vecteurs d’information. De plus, la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et l’accompagnement des victimes des dérives sectaires a été promulguée le 10 mai 2024. Une circulaire aux préfets et aux procureurs de la République devrait être prise afin de réunir les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires dans les territoires dans une perspective de prévention ou de répression.
« Ces situations se concluent toutes par, au mieux, une exploitation financière des victimes et, au pire, de graves préjudices corporels, voire des décès »
Dérives sectaires et désinformation en santé cultivent des liens étroits et intriqués
Une dérive sectaire est un phénomène de l’ordre de la manipulation mentale, qui peut conduire à un phénomène d’emprise mentale et à un certain nombre de risques pour la sécurité des personnes, et parfois à des infractions pénales. Les dérives peuvent être de l’ordre de la prédation sexuelle, d’abus financiers ou de préjudices d’ordre psychologique. La dérive sectaire a « tous les effets de l’exercice d’une domination qui n’a plus de freins et de bornes sur les personnes, et qui cause des séquelles physiques ou psychologiques, séquelles ayant un impact sur la santé à moyen terme des mineurs et des adultes ».
En santé, la loi prévoit un article sur la provocation à l’abandon des soins dès lors que l’on utilise des pressions ou des manœuvres réitérées. Peut être considéré comme une manœuvre, le fait d’utiliser de fausses études médicales ou des études. « La désinformation conduit à des risques, voire à la réalisation de dérives sectaires caractérisées ».
En matière de santé, une constante de la Miviludes est de recevoir des signalements sur « des thérapeutes sans diplôme qui mettent en avant des solutions miracles assorties quasiment tout le temps d’études mensongères pour donner du crédit à leurs thèses. Ces études sont invérifiables, et peuvent faire mention par exemple d’une université étrangère avec un nom en anglais complexe afin de donner un semblant de sérieux. Il est alors complexe voire impossible d’en vérifier le contenu ». En effet, le grand public ne connaît pas le principe des revues à comité de lecture, et n’a pas la connaissance des critères permettant de se renseigner sur la véracité, le sérieux et la fiabilité d’une étude.
Dans le rapport d’activité de la Miviludes de 2021**, il est spécifié que la MIVILUDES a opéré 20 signalements sur le fondement de l’article 40 du CPP, contre 16 en 2020, 12 en 2019 et 10 en 2018. Bien que les situations dénoncées soient variées, elles ont toutes en commun d’impliquer très fréquemment des groupes de coaching, de développement personnel ou des guérisseurs se qualifiant de « thérapeute, psychothérapeute, sexothérapeute et hypnothérapeute », ou ayant des pouvoirs permettant de « créer une matière parfaite, changer instantanément le cours d’un évènement négatif de régénérer tous les organes du corps, communiquer avec les morts, et, par des combinaisons de chiffres, permettre d’augmenter la durée d’une vie saine et soigner des maux tels que le cancer, le SIDA ou encore la COVID-19 ». D’autres mis en cause ont eu des actions visant à « pathologiser » des personnes bien portantes. « Ces situations se concluent toutes par, au mieux, une exploitation financière des victimes et, au pire, de graves préjudices corporels, voire des décès ».
Ce qui porte cette mission interministérielle peut être résumée par l’article premier de la constitution française : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.
Au sein de la Miviludes, ce respect de toutes les croyances est intangible, avec une attention particulière à ne s’attacher qu’aux comportements qui visent à causer des préjudices aux personnes.
Une prévention structurée via des accords avec les 7 ordres et des liens avec les ARS
La prévention passe par des actions de formation et de sensibilisation régulières, grâce au recours à des référents ministériels, dans tous les grands ministères : ministère de l’Intérieur, ministère de la Justice, ministère de la Santé, ministère de l’économie ou encore l’Éducation Nationale.
Pour exemple, au sein de l’Education Nationale, les référents sont formés tous les ans sur les enjeux de lutte contre les dérives sectaires. « Il ne suffit pas d’être référent. Il faut surtout être formé, sensibilisé et aussi mettre à disposition des professionnels une information pratique, notamment sous la forme de guide ».
Le ministère de la Santé doit concrétiser la formation de référents dans les ARS. Des conventions ont été signées avec les 7 ordres des professionnels de santé prévoyant des actes de sensibilisation, ainsi qu’avec la Ligue contre le cancer, l’Agence Régionale de Santé d’Île-de-France (ARS), la Fédération Internationale des Associations de Personnes âgées (FIAPA) ou encore l’ANFH. Dans le domaine du cancer, des interventions coordonnées avec l’Inca ont été réalisées.
Une réflexion autour de l’apport de la technologie de l’intelligence artificielle reste à mener
Les dérives sectaires représentent un phénomène complexe et multiforme. L’appréciation humaine dans la gestion et l’analyse de signalements ne saurait être remplacée par des algorithmes mathématiques. Mais l’IA pourrait venir en support des conseillers de la Miviludes en venant compléter le travail entrepris via une analyse des signalements reçus « l’analyse par exemple d’un site internet ou des échanges qu’il pourrait y avoir sur des sources ouvertes comme Facebook », ou encore « pour identifier une vitesse de viralité et caractériser le risque lié à une personne ou un site internet ».
Le mot qui compte de Donatien Le Vaillant
Dialogue. « Parce que nous avons besoin d’échanger afin de comprendre les phénomènes de dérives sectaires. Nous devons expliquer notre action, parce que notre mission interministérielle est un peu originale dans le paysage administratif. Mais nous avons surtout besoin d’entendre et de dialoguer avec des personnes victimes de dérives sectaires afin de mieux les aider. »