L’innovation, un leitmotiv en pratique clinique

par | 15 avril 2025 | Explorer

L’innovation, un leitmotiv en pratique clinique

Pr Eric Vibert – Chirurgien hépatique à l’hôpital Paul Brousse & créateur de la chaire innovation BOPA

Entretien avec le Pr Eric Vibert, chirurgien hépatique à l’hôpital Paul Brousse et créateur de la chaire innovation BOPA (Bloc OPératoire Augmenté).

L’usage de l’intelligence artificielle générative au sein des hôpitaux publics est un enjeu sociétal, une réalité palpable et un défi immense. Le professeur Eric Vibert, chirurgien hépatique à l’avant-garde des innovations, nous détaille un aperçu des avancées et des défis à venir dans l’intégration et l’usage de l’IA générative en pratique clinique.

Un état de lieu contrasté ou l’acceptabilité n’est pas le seul frein

L’utilisation de l’IA en médecine reste limitée à l’adoption restreinte d’outils tels que Nuance Dragon Naturallyspeaking qui exploite la reconnaissance vocale pour la transcription de comptes-rendus.

Ces outils de reconnaissance du langage liés à un modèle de LLM médicalisé permettraient de pouvoir élaborer des comptes-rendus de consultation, des comptes rendus d’opératoire, du codage automatisé, des propositions de décision diagnostique… « Des solutions de ce type se développent comme DAX Copilot de Microsoft, qui est un outil d’IA générative adapté à la médecine, soutenu par la base de données Dragon ».

« Aujourd’hui, ce type d’outils ne sont pas utilisés dans plein de structures pour des raisons financières. À titre d’exemple, une licence Nuance, si on voulait la mettre en place sur l’ensemble de l’AP-HP, à savoir 20 000 utilisateurs annuels, coûterait plusieurs millions d’euros par an. C’est impossible. » nous indique le Pr Vibert.

Ces avancées technologiques sont très performantes et rentables, mais avec un ticket d’entrée trop onéreux pour le secteur public.

Certaines structures privées, disposant de budgets plus souples, commencent à exploiter ces technologies, mettant en évidence une fracture technologique croissante entre secteurs public et privé.

« L’IA générative sert à donner du temps pour se concentrer sur les cas difficiles, à apporter du temps de cerveau disponible pour mieux s’occuper des malades ou s’occuper de soi »

Les promesses de l’IA générative en clinique : devenir un outil majeur du clinicien

En tout premier lieu, d’un point de vue purement médico-économique, ces solutions sont extrêmement intéressantes pour le codage automatisé des actes médicaux. En permettant une codification précise et rapide, l’IA pourrait optimiser les remboursements des hôpitaux par la Sécurité sociale. Par exemple, le tarif d’une intervention varie en fonction des caractéristiques du patient et des codes associés qui vont définir le GHM (comptes homogènes de malades). « Or, le faire correctement en pratique quotidienne prend énormément de temps » déplore le Pr Vibert. L’IA générative, en analysant les comptes-rendus, garantirait une codification optimale, directement liée aux ressources financières de l’établissement. « Parce qu’en fait, les outils d’IA générative, ça sert à quoi ? Les outils d’IA générative, ça sert à ne pas oublier des points clé. Ça permet d’augmenter le clinicien. » L’IA générative en diminuant le risque d’oubli ou le risque d’incompréhension en posant les bonnes questions au clinicien peut diminuer drastiquement les erreurs médicales courantes telles que les allergies ou les contre-indications. Elle devient un assistant précieux sans remplacer le clinicien. Cependant, la peur de se voir remplacer est présente pour certains médecins. A l’instar du domaine de l’anatomopathologie, au moment de l’émergence des outils de lecture automatisée des lames, nombreux étaient réticents à l’utilisation de cette technologie. Il s’avère que le modèle fonctionne bien avec de nombreux diagnostics réalisés via de l’IA et validés par le médecin.

Pour le Pr Vibert, l’IA générative sert « à donner du temps pour se concentrer sur les cas difficiles, à apporter du temps de cerveau disponible pour mieux s’occuper des malades ou s’occuper de soi ».

Le coût et la complexité, principaux freins de l’IA en clinique

L’intégration de l’IA dans les structures hospitalières va couter très cher et va être difficile à intégrer dans des réseaux informatiques non adaptés à ce jour. L’interopérabilité va être complexe avec des briques technologiques situées dans des clouds et donc une problématique de confidentialité et de gouvernance.

Le Pr Vibert indique que les acteurs du cloud sont nombreux et qu’aucun ne s’est vraiment positionné, même si « Google Cloud semble se positionner sur le champs de la recherche et Azure de Microsoft sur le soin, notamment avec le rachat de Nuance et des outils comme DAX Copilot ».

La chaire BOPA, au carrefour de l’innovation médicale

Créée et dirigée par le Pr Vibert, la chaire BOPA (Bloc Opératoire Augmenté) est un laboratoire d’innovation dédié à l’amélioration de la sécurité et de la qualité des soins au bloc opératoire avec une approche à la fois humaine et technologique.

Cette initiative se concentre sur le développement de technologies avancées, mêlant intelligence artificielle et réalité augmentée, pour optimiser les pratiques au bloc opératoire.

Les projets menés au sein de BOPA incluent :

  • La collecte et l’analyse de données multimodales (images, sons, paramètres vitaux) pour produire des comptes-rendus opératoires augmentés.
  • La création de jumeaux numériques permettant de simuler des scénarios chirurgicaux et d’améliorer la prise de décision pré-opératoire. Ces modèles virtuels d’organes permettent de simuler des scénarios pré-opératoires pour guider la décision opératoire. Ce sont des modèles de foie pouvant se déformer, ou ayant une certaine capacité à simuler l’hémodynamique hépatique avec des problèmes de pression ou de débit. Intégrés à des outils de réalité augmentée, ils préfigurent l’avenir de la chirurgie.
  • Le développement de systèmes intelligents capables d’interagir avec les équipes médicales en temps réel, tout en respectant le flux de travail opératoire. Le chatbot per-opératoire « Henri », est conçu pour poser des questions au chirurgien au moment opportun. Cet outil vise à produire des comptes rendus opératoires automatisés. Afin de s’émanciper du problème d’hallucination des IA générative, la chaire BOPA travaille en RAG (Retrieval Augmented Generation), c’est-à-dire sur des bases de données limités. Cet outil pourrait un jour proposer des solutions au chirurgien lors d’hésitations détectées par l’outil, en enregistrant la fréquence cardiaque voir même en captant l’électroencéphalogramme du chirurgien.

Soutenue par des financements publics et privés, la chaire BOPA s’affirme comme un lieu de convergence entre technologie et pratique clinique, avec un objectif clair : transformer l’innovation en progrès concret pour les patients. La chaire BOPA a toujours besoin de mécénat. L’objectif avoué du Pr Vibert n’est pas de « s’enrichir à titre personnel via l’innovation, mais d’enrichir l’hôpital public qui ne va pas très bien ».

L’IA générative, bien qu’encore en phase d’émergence dans le milieu clinique, offre des perspectives excitantes pour améliorer la qualité des soins et optimiser les processus hospitaliers. Cependant, comme le souligne le Pr Vibert, ces avancées nécessitent un investissement substantiel et une réflexion éthique approfondie. Avec un soutien adapté, elles pourraient transformer durablement la pratique médicale et enrichir l’expérience tant des soignants que des patients.

Les plus lus.

En kiosque.

Futurologie #3

Futurologie #3

IA générative – Avant toute chose, pensez en écosystème L’intelligence artificielle générative (GenIA) est en train de transformer en profondeur l’ensemble des secteurs dont celui de la santé. Cet outil ouvre la voie à de nouvelles modalités de collaboration entre...

Dans la même catégorie.