Existe-t-il une place pour l’IA générative dans les essais cliniques ?

par | 15 avril 2025 | Explorer

Existe-t-il une place pour l’IA générative dans les essais cliniques ?

Rémy Choquet –Directeur des données médicales et de la data science chez Roche France

Entretien avec Rémy Choquet, directeur des données médicales et de la data science chez Roche France, durant lequel il nous éclaire sur les défis et les opportunités dans le développement clinique, notamment sur l’impact des technologies numériques et de l’intelligence artificielle.

L’industrie pharmaceutique face aux défis du développement clinique et des incertitudes biologiques

Rémy Choquet nous décrypte les différentes étapes qui composent la recherche clinique. « Dans les phases en amont, nous cherchons à comprendre les mécanismes biologiques, à identifier des cibles thérapeutiques et à évaluer les actions possibles. Cela repose sur des approches combinées : modèles numériques, organoïdes, et parfois des modèles animaux. Cette phase vise à imaginer des solutions avant de passer au développement clinique humain. Ensuite, une fois qu’une cible est identifiée, nous entrons dans la phase clinique proprement dite. Cela implique des essais rigoureux sur des patients pour démontrer l’efficacité et la sécurité du traitement. C’est une étape où les données doivent être irréfutables et où la causalité est cruciale. Cependant, cette phase est longue et coûteuse. Elle nécessite des efforts considérables pour garantir que les données recueillies soient représentatives et pertinentes, c’est toute la difficulté. Enfin, après l’arrivée d’un produit sur le marché, d’autres questions se posent. Par exemple, certaines populations peuvent avoir été sous-représentées dans les essais initiaux. Cela soulève des interrogations sur les variations possibles des effets thérapeutiques dans des contextes réels. Des études observationnelles deviennent alors cruciales pour répondre à ces questions complémentaires. »

La complexité croissante des protocoles est un défi majeur. Rémy Choquet, nous explicite la profusion des challenges à relever en matière d’essais cliniques. « Ils incluent souvent une multitude d’objectifs secondaires pour répondre à des questions scientifiques variées, ce qui peut ralentir leur exécution et rendre leur interprétation plus difficile. Simplifier les protocoles peut aider, mais cela soulève des inquiétudes quant à l’exhaustivité des preuves générées.

De plus, il existe une « combinatoire » complexe entre les patients, les traitements et les contextes cliniques, il est donc impossible de vérifier à priori en situation d’essai toutes les situations individuelles. Par exemple, en immunothérapie, certains patients répondent très bien, tandis que d’autres moins, sans qu’on sache toujours l’expliquer. Cette incertitude reflète les limites de nos connaissances biologiques. »

Un autre défi pour l’industrie pharmaceutique, c’est la pression concurrentielle. « Lorsqu’une entreprise complexifie trop son protocole, elle risque de retarder son développement par rapport à des concurrents ayant adopté une approche plus simple. L’équilibre entre simplicité et exhaustivité des preuves est donc essentiel pour maximiser les chances de succès. »

N’oublions pas que, « 90% des essais cliniques n’arrivent pas à l’homme, alors que les chercheurs qui font les modèles et qui design les essais cliniques ont des bonnes connaissances. Donc en fait, si on n’y arrive pas, c’est qu’à priori, il y avait des choses qu’on n’avait pas compris sur la biologie humaine, sur la maladie ou le traitement. »

Enfin, la gestion des données en temps réel est un enjeu croissant. Avec l’évolution des outils numériques, « nous avons la capacité de collecter et d’analyser des volumes massifs de données en continu. Cependant, cela nécessite des infrastructures robustes et une coordination étroite entre les équipes cliniques, scientifiques et technologiques. »

« Son rôle est davantage un complément à l’expertise humaine qu’un substitut. Elle nous aide à aller plus vite dans certaines étapes, mais ne remplace pas l’analyse humaine, à ce jour ! »

Rôle des modèles numériques et de l’intelligence artificielle dans ces processus

Les modèles numériques permettent de simuler rapidement des interactions biologiques complexes et d’explorer des mécanismes d’action. Ces outils sont précieux dans les phases précoces pour accélérer la compréhension et le ciblage.

Cependant, les limites des approches génératives sont significatives selon Rémy Choquet. « Il faut être prudent avec ces technologies. Ces systèmes ne peuvent produire que des hypothèses basées sur des données existantes. Si une information manque ou est erronée, les conclusions seront biaisées. Par exemple, un modèle peut générer des millions de possibilités, mais ne peut garantir la pertinence de celles-ci dans des contextes cliniques L’IA ne peut pas générer quelque chose qui n’existe pas, elle peut encore moins raisonner. Et en fait, le problème du développement clinique, c’est que la causalité est excessivement importante et doit être mesurée avec la plus grande rigueur.

L’IA peut être très performante dans des tâches spécifiques, comme la structuration des données ou la prédiction d’effets secondaires potentiels, mais elle reste dépendante de la qualité des données d’entrée et de la question posée. Son rôle est davantage un complément à l’expertise humaine qu’un substitut. Elle nous aide à aller plus vite dans certaines étapes, mais ne remplace pas l’analyse humaine, à ce jour ! »

Les limites des systèmes génératifs en recherche clinique

L’IA peut améliorer l’efficience, notamment dans le design des protocoles ou la structuration des données. Mais dans les essais cliniques, détaille Rémy Choquet, « la collecte de données repose sur des protocoles rigoureux et hautement structurés. D’autant plus que ces informations doivent être imputables à l’état de santé des patients pour garantir des résultats fiables. »

Une autre difficulté réside dans l’idée selon Rémy Choquet dans l’utilisation de « patients virtuels » ou générés par l’IA. « Même si cela peut être utile pour modéliser ou compléter des analyses, cela soulève des questions méthodologiques et éthiques importantes. Même si les connaissances des mécanismes biologiques s’améliorent, si nous pouvons nous appuyer sur l’expérience de certaines molécules déjà utilisées, s’appuyer seulement sur ces connaissances peut être limité et ne pas refléter ce qu’on ne sait pas à priori dans ce contexte cliniques. »

De plus, l’un des enjeux des essais cliniques est la gestion des biais. « Par exemple, dans certaines pathologies rares, il est difficile de recruter suffisamment de patients pour constituer un échantillon statistiquement significatif. Dans ces cas, des approches d’IA pourraient contribuer à identifier des patients pertinents ou à générer des données simulées pour étayer les résultats. Mais ces techniques doivent encore faire leurs preuves dans des contextes réglementés », insiste Rémy Choquet.

L’IA apporte une valeur ajoutée significative dans la modélisation et l’amélioration des processus. Cependant, « elle ne peut remplacer l’expertise humaine, particulièrement lorsqu’il s’agit de causalité et de validation clinique. Son rôle est de compléter nos efforts, pas de s’y substituer. »

Rémy Choquet conclue sur la nécessité de « continuer à innover tout en respectant les principes fondamentaux de rigueur et d’éthique. »

Données observationnelles et leur utilisation dans la recherche

Au-delà des essais cliniques, l’IA pourrait jouer un rôle central dans la médecine de précision, selon Rémy Choquet, « en identifiant des traitements adaptés à des sous-populations spécifiques. Elle pourrait également contribuer à rendre les systèmes de santé plus résilients en optimisant les ressources et en facilitant la prise de décision en temps réel. »

Rémy Choquet, spécialiste des données observationnelles, collectées en dehors des essais cliniques, nous indique qu’elles « offrent une vision précieuse de la « vraie vie ». » Cependant, « leur collecte reste un défi, car le système de santé actuel n’est pas conçu pour produire automatiquement des données exploitables en recherche. L’IA pourrait jouer un rôle clé ici, en structurant et en analysant rapidement ces informations.

Nous travaillons également sur des méthodes avancées pour réutiliser des données existantes et pallier les biais potentiels. Par exemple, des approches statistiques permettent parfois de compléter les données manquantes ou de réaligner des comparateurs dans des études. Ces efforts visent à améliorer notre compréhension des traitements dans des contextes réels et à soutenir les prises de décision basées sur des preuves solides. »

Selon Rémy Choquet, les études observationnelles complémentaires aux essais cliniques revêtent un domaine prometteur. « Grâce à l’IA, nous pourrions automatiser la collecte de données cliniques directement à partir des dossiers médicaux électroniques, réduisant ainsi la charge administrative pour les médecins. Cela pourrait également ouvrir de nouvelles opportunités pour compléter les connaissances des essais cliniques, identifier des signaux faibles ou des effets inattendus plus rapidement. On travaille avec des sociétés savantes, qui mettent en place des cohortes via un certain nombre de systèmes de collecte. On voit bien qu’il y a encore un gap entre la pratique médicale pure et la réutilisation de ces données pour réaliser des études observationnelles. »

« A la fin, le protocole, la décision de traiter, est totalement humaine. Ce que l’on ne sait pas à priori, par définition l’IA ne peut pas le savoir. »

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