L’intelligence artificielle en médecine – promesses, limites et enjeux

par | 15 avril 2025 | Explorer

L’intelligence artificielle en médecine – promesses, limites et enjeux

Michel Dojat – Directeur de recherche à l’INSERM, directeur scientifique adjoint à Inria, expert en intelligence artificielle appliquée à la santé & co-fondateur de la société Pixyl

Michel Dojat, directeur de recherche à l’INSERM, directeur scientifique adjoint à Inria, expert en intelligence artificielle (IA) appliquée à la santé et co-fondateur de la société Pixyl, nous partage sa vision sur les opportunités offertes par l’intelligence artificielle en médecine, les défis liés à son adoption et les questions éthiques et sociétales qui en découlent.

L’IA en médecine, un sujet de société majeur

Pléthores d’idées reçues circulent autour de l’usage de l’IA en médecine. Michel Dojat convient qu’il est essentiel de démystifier le sujet afin de ne pas survendre cette technologie et créer des attentes irréalistes, mais aussi d’endiguer des peurs inutiles. C’est ensuite à « la société de s’emparer du sujet. Les outils d’IA en imagerie, qui sont aujourd’hui robustes et bien évalués, peuvent faire gagner du temps aux radiologues. Mais ce gain de temps, qu’en fait-on ? Soit on réduit le nombre de radiologues, puisqu’ils ont plus de temps. Soit on se dit que ça leur permet de faire plus de recherches, de mieux discuter avec leurs patients. Ce sont des choix politiques et sociétaux que nous devons aborder collectivement. »

L’IA reste un outil, et non un substitut à l’expertise humaine. « En radiologie, une machine peut analyser des images plus rapidement et plus en détail qu’un humain, mais elle ne peut pas prendre de décision clinique complexe basée sur une analyse holistique du patient et de sa pathologie. C’est l’humain qui reste au centre, en interprétant les résultats et en décidant des actions à entreprendre. »

L’IA peut aussi améliorer les tâches administratives, comme la rédaction de comptes rendus ou la synthèse de dossiers médicaux. Ces fonctionnalités permettent aux professionnels de santé de se concentrer sur leurs patients. « Cependant, nous devons veiller à ce que l’adoption de ces technologies ne soit pas uniquement motivée par des réductions de coûts ou des suppressions de postes. »

« C’est l’humain qui reste au centre, en interprétant les résultats et en décidant des actions à entreprendre. »

L’imagerie médicale, un secteur majeur d’utilisation de l’IA générative

Selon Michel Dojat, « l’imagerie médicale est probablement le domaine où l’IA générative a eu le plus d’impact jusqu’à présent. Ces outils, issus des avancées en vision par ordinateur, permettent d’identifier et de suivre des pathologies avec une précision accrue. Prenons l’exemple du suivi de la sclérose en plaques : grâce à l’IA, les neurologues peuvent comparer des images prises à différentes périodes et détecter des changements subtils dans la charge lésionnelle. Cela aurait été impossible à l’œil nu en raison de la quantité et de la complexité des données.

Un autre exemple frappant est celui de la détection du mélanome. Les systèmes d’IA peuvent analyser les images de la peau et identifier des lésions suspectes bien avant qu’elles ne soient perceptibles pour l’œil humain. Ces outils sont particulièrement utiles dans les contextes où les ressources médicales sont limitées. Cependant, ces outils nécessitent une validation rigoureuse. Un modèle mal entraîné pourrait produire des résultats erronés, voire dangereux. Nous devons mettre en place des processus similaires à ceux utilisés pour les médicaments, avec des phases de tests robustes pour garantir la fiabilité des systèmes. »

La fiabilité du modèle et la confiance, des défis à relever

Il est essentiel de quantifier l’incertitude des réponses fournies par ces systèmes. Michel Dojat détaille : « parfois, les systèmes donnent des réponses même lorsqu’ils sont confrontés à des données totalement hors de leur données d’entraînement. Un exemple courant serait un modèle entraîné sur des images de cerveaux adultes qui analyse soudainement une image cérébrale pédiatrique. Si ce modèle n’est pas capable de reconnaître que l’image dépasse son champ de compétence, il pourrait produire des résultats erronés. Rendre ces outils plus circonspects et leur permettre de signaler leurs limites est une priorité. »

Les outils d’IA doivent être robustes, testés et validés pour que les utilisateurs, qu’ils soient professionnels ou patients, puissent les adopter avec confiance. Michel Dojat s’interroge par ailleurs sur « l’utilisation des données médicales. Qui contrôle ces données ? Sont-elles partagées de manière éthique ? Un autre point crucial est l’accès équitable à ces technologies. Si les systèmes d’IA sont développés par de grandes entreprises internationales, il y a un risque de monopolisation. Il est essentiel que ces outils soient accessibles à tous, quel que soit le système de santé ou le pays. Enfin, il faut aussi considérer les impacts environnementaux de ces technologies, notamment leur coût computationnel. »

Quel futur entrevoir aujourd’hui en médecine ?

L’IA est une opportunité formidable pour améliorer la médecine et les soins, à la fois pour les praticiens et pour les patients, mais elle doit être utilisée avec précaution. Michel Dojat considère qu’il est important « d’éduquer le public et les professionnels sur ses avantages et ses limites, et travailler ensemble pour encadrer son développement de manière éthique et durable. L’intelligence artificielle ne remplacera pas les humains, mais elle peut devenir un allié puissant pour relever les défis complexes de la santé. »

L’IA pourrait révolutionner la médecine de précision en identifiant des traitements adaptés à des sous-populations spécifiques. Elle pourrait aussi jouer un rôle crucial dans la recherche, en analysant de vastes ensembles de données pour découvrir de nouvelles tendances ou corrélations.

Pour les patients, « les agents conversationnels pourraient faciliter le suivi des maladies chroniques ou offrir un média d’échanges notamment dans les cas où les individus hésitent à s’ouvrir directement à un humain. » Ces technologies peuvent également contribuer à la prévention, par exemple en sensibilisant les jeunes à travers des applications éducatives interactives. « On peut imaginer des environnements ludiques pour transmettre des messages de prévention à des enfants, ou des systèmes de suivi pour des patients atteints de dépression qui les encouragent à exprimer leurs ressentis plus librement. »

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